Clotaire Breton

Clotaire Breton
Clotaire Breton

Amis du Vexin français

PNR du Vexin français

Saint-Martin-la-Garenne

mardi 20 octobre 2015

"Noces campagnardes"

"Le mariage est un des actes les plus importants de la vie, car il est la consécration légale de la perpétuation de l'espèce. A la campagne, il est autant dominé par les préoccupations d'intérêt personnel que par les questions d'ordre sentimental. Deux êtres s'unissent, bien sûr, mais en même temps deux terres, deux propriétés dont il faut savoir si elles s'équivalent.
Il arrive pourtant que les circonstances imprévues déjouent les combinaisons les mieux préparées. Les hasards de la veillée et de la danse causent des "accidents" qui contraignent à un mariage que jamais les familles n'avaient rêvé, ni souhaité.
On en jase au village, puis on n'y pense plus. C'est en effet souvent sur le chemin de la veillée ou en sortant de bal que se jouent les idylles. C'est aussi au retour des champs, dans la demi-clarté du crépuscule que les mains se joignent, que les lèvres se rapprochent, que les promesses s'échangent. Un geste, un mot, des yeux qui s'animent, des joues qui, plus qu'à l'ordinaire, se colorent et le jeune paysan et la jeune paysanne se sont compris. Désormais, ils sauront attendre.
Quand il est avéré qu'une fille est la "bonne amie" d'un garçon, ce dernier est autorisé à la "courtiser", c'est-à-dire à la fréquenter ouvertement dans sa famille.
Les parents du jeune homme procèdent à la demande en mariage, à la suite de laquelle on va "aux accords".
Chez le bijoutier du bourg, le fiancé offre à sa fillancée une bague,, une chaîne avec croix en or et une timbale en argent.
Des deux côtés, on s'est entendu sur le trousseau de la mariée, sur les invitations à la noce et sur la date du mariage.
...Le matin, le village est en rumeur et les commères guettent en clabaudant sur le pas des portes.
La noce sort du domicile de la mariée, précédée du violoneux qui joue des airs entraînants. Jusque vers 1840, la mariée n'est pas toujours vêtue de blanc: elle porte parfois une robe noire.
Le cortège se rend à la mairie, puis à l'église, au son de la cloche. Suivons a. Cassan dans les détails qu'il nous donne:
"A Follainville, le jour des noces, au moment où la famille réunie se dispose à partir pour l'église, la jeune mariée se met à genoux devant son père et sa mère et, les larmes aux yeux, leur demande pardon de toutes les fautes dont elle s'est rendue coupable envers eux depuis son enfance: le père et la mère lui pardonnent et la bénissent, au milieu de la famille en pleurs."
A La falaise "lorsqu'un garçon épouse une fille de son village, les jeunes gens de la noce donnent à la sortie de l'église un bouillon à la mariée avec une cuillère criblée de trous. Si le marié est étranger à la commune, les jeunes gens lui offrent un bouquet; si la mariée est étrangère, ce sont les jeunes filles qui lui donnent ce bouquet."
A Dammartin, à Longnes, à Tilly, les garçons saluent de coups de fusils l'entrée de la noce à la mairie et, lorsqu'elle sort de l'église, ils offrent à la mariée une soupière enrubannée remplie de dragées et de pralines.
A Saint-martin-la-Garenne, à Sandrancourt, à Guernes, à Dennemont, le père du futur, avant d'aller à la mairie, vient chez la future, frappe à la porte et quand on lui a ouvert demande si "c'qu'on a promis à mon gars est toujours à not'disposition". Sur la réponse affirmative, on se serre la main, on "s'accolade" et les deux familles qui se sont groupées vident quelques pots de vin. Alors le père crie: "parrain, fais ton devoir". Celui-ci ou un proche parent s'avance vers la mariée, lui offre le bout d'un mouchoir, dont il tient l'autre bout et il l'emmène ainsi à la mairie d'abord, puis à l'église ensuite.
A Richebourg, en rentrant de la messe, la mariée, pour être une bonne ménagère, doit relever un balai que ses compagnes du village ont placé à terre en travers de la porte d'entrée de la maison paternelle.
Avant le repas du midi, le violoneux conduit la noce à travers les rues du village où, si les familles sont estimées, éclatent de joyeusesexclamations, et la mariée doit se soumettre à de nombreuses embrassades.
Le déjeuner a lieu dans une grange ou sous un hangar  dont les murs pour la circonstance, ont été tapissés de draps et ornés de gerbes de fleurs ou de branches de sapins. Ce déjeuner est naturellement soigné, copieux, lourd de viandes, riche en pâtisseries et en vins. Un cuisinier de métier l'a préparé et il est servi par des amis et des parents, des parents que leur parenté n'a pas permis de "prier" à la noce.
Le déjeuner ne se prolonge pas trop, parce que la jeunesse préfère la danse à la table. Vers trois ou quatre heures, les noceux se lèvent et se dirigent vers l'auberge. Le violoneux organise le bal et tous les noceux y participent sans distinction d'âge. Si la fatigue gagne les vieux, ils se retirent dans la salle à boire où ils consomment en jouant aux cartes et en évoquant les souvenirs de jadis.
La nuit tombe; le bal cesse. Le cortège se reforme en ordre, mais pas en silence. Au logis, chacun retrouve sa place autour de tables improvisées chargées de nouvelles victuailles.
Car le dîner est plus abondant encore que le déjeuner. Pour faciliter la digestion, on coupe de nombreux "trous du milieu". Une grande animation y règne; des loustics s'amusent au dépens de leurs voisins; visiblement, beaucoup de convives se ressentent de la chaleur communicative du vin bouché; les rires fusent; on s'interpelle de tous côtés; on échange des propos grivois, de lestes sous-entendus que favorise la clarté douteuse des chandelles et des lampes à huile.
Soudain un cri retentit, suivi des protestations indignées. C'est un farceur qui s'est glissé sous la table pour détacher la jarettière de la mariée. N'ayant pas réussi, il se rattrape en "fourrageant" les jupes à sa portée. Chassé à coups de pied, il regagne piteusement son siège "honteux comme un renard à qui l'on aurait coupé la queue."
Au café, avant le pousse-café, un ancien réclame le silence qu'il obtient difficilement: "La parole est aux chanteurs" s'écrie-t-il. On ne montre d'abord pas d'empressement à répondre; mais après s'être fait tiré l'oreille, quelqu'un se dévoue et commence. D'autres continueront.
On reprend en chœur le refrain de ces chansons, tirées d'un répertoire spécial qu'on se lègue de génération en génération. Cassan en cite quelques unes d'une naïveté enfantine.
Puis, jeunes gens et jeunes filles se levaient et remettaient un présent à l'épouse, généralement des pièces de vaisselle au milieu desquelles on glissait un pot-de-chambre barbouillé de moutarde et rempli de dragées.
Si la nuit n'est pas trop avancée, on débarrasse vivement les tables. Dans la grange même au son du violon, la danse recommence et les quadrilles se succèdent sans interruption jusqu'aux premières lueurs du jour.
Profitant d'un moment d'inattention et malgré la surveillance qui s'exerce sur eux, les mariés ont pu s'échapper. Seront-ils moins tranquilles!...Pas toujours, car, d'après Cassan, à Saint-Martin-la-garenne, les jeunes gens et les jeunes filles viennent frapper à la porte de la chambre nuptiale.
Enfin la porte s'ouvre et les visiteurs présentent aux mariés un saladier de vin chaud sucré avec des tartines de pain grillé. C'est le chaudeau que les époux boivent avant de se mettre au lit.
Dans plusieurs villages, une veuve "sur le retour" qui s'est remariée, des époux d'âge disproportionné ou dont la vie privée n'est pas exempte de reproches sont gratifiés d'un concert d'un goût douteux qu'on appelle le charivari. A la suite du jour, les garçons du pays se rassemblent devant la demeure des conjoints et poussent des huées en frappant à tour de bras sur des casseroles, des poëlons, des chaudrons et des bassinoires. On devine la joie des voisins.
La noce dure deux jours dans les familles aisées. Le matin du second jour, à Dennemont, à Guernes et à Saint-martin, la mariée à peine levée et habillée doit jurer en public "de n'aller jamais chercher son mari au cabaret".
En général, le lendemain, les invités mangent les restes, et bras dessus, bras dessous, ils déambulent dans le village jusqu'à ce que l'extrême fatigue les oblige à regagner leur demeure.
Aujourd'hui, la noce villageoise a perdu son originalité. On déjeune,on dîne et on danse au restaurant. Une promenade en autocar remplace la traditionnelle randonnée du violoneux et si la chanson de la mariée est oubliée, par contre on n'ignore point "Tout va très bien Madame la Marquise".
Mais sous une forme ou sous une autre, le mariage et la noce qui en est la manifestation extérieure, restent la grande fête de famille.
A juste titre, puisqu'en ce siècle, comme dans tous ceux qui le précédèrent, le mariage assure la continuité de l'espèce, préparant ainsi l'avenir, l'avenir, c'est-à-dire les générations qui montent et vers lesquelles se tournent tous nos espoirs..." (La vie rurale dans le Mantois et le Vexin au XIXe siècle d'Eugène BOUGEATRE, édition anotée et complétée par Marcel LACHIVER, Maître-Assistant à la Sorbonne 1971)

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