Clotaire Breton

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Clotaire Breton

Amis du Vexin français

PNR du Vexin français

Saint-Martin-la-Garenne

mardi 20 octobre 2015

"Les lavandières"

"Lavandières de Saint-Martin" (1979) tableau peint par Clotaire Breton
La vue est probablement prise depuis le lieudit du "Port aux vins"
"Les rires des lavandières se mêlent aux clapotis de l'eau et au son de la corne d'une péniche d'un autre âge passant sur la Seine. Les pêcheurs paisibles portent encore moustache et chapeau de paille.; et les garnements du village, dans leur maillot rayé, se disputent dans l'eau comme au temps du Grand Meaulne."(Christine ALAN, 1979)

"Ce n'est pas sans vanité, ni même par simple mesure de prévoyance que la paysanne empile du linge dans son armoire. Elle est contrainte d'en avoir une grande quantité tant il est difficile de procéder à un lavage et à un blanchissage complets lorsque l'habitation est éloignée d'un cours d'eau.
Chaque semaine surtout quand le ménage a plusieurs enfants en bas-âge, la femme se livre à un savonnage au baquet dans l'eau douce, l'eau d'égout, celle qui provient des pluies récemment tombées; puis, les pièces ainsi lavées sont rincées à une mare voisine; mais l'opération est limitée au linge usuel, au linge de corps: le reste, draps, torchons, chemises de travail, ce qu'on appelle le gros linge est réservé pour la lessive qu'on fait d'habitude deux fois par an dans le courant d'avril et fin octobre; si une troisième est nécessaire, elle a lieu ordinairement après la moisson.
La lessive constitue un des événements les plus importants de la vie rurale, et on s'y prépare plusieurs jours à l'avance.
D'abord on examine les cendres, car les cendres jouent un rôle essentiel dans le nettoyage du linge en raison du carbonate de potasse qu'elles enferment. La cendre des bois durs, chêne, frêne, orme et charme est la meilleure; on apprécie moins celle du peuplier, du tremble et du bouleau. Pendant tout l'hiver, on a conservé les cendres du foyer et peu de temps avant la lessive, on les passe soigneusement au tamis afin d'éliminer les corps étrangers qui s'y trouvent encore mêlés.
Ensuite, on essange le linge (on dit "échanger"), c'est-à-dire qu'on le laisse tremper dans une eau presque bouillante où il dépose une partie de ses grosses souillures.
Enfin, la date de la lessive est fixée. La veille au soir, dans le fournil, la ménagère entasse le linge essangé. Aidée par son homme, elle a placé non loin de la cheminée, le lourd trépied de bois sur lequel est disposé un large cuvier percé dans sa paroi inférieure d'un trou garni d'un bouchon de paille qui règlera l'écoulement de l'eau de lessive.
Sur le fond du cuvier, elle dépose un sachet contenant des tiges de thym et des rhizomes de flambes. Les flambes sont des iris dont les rhizomes ont été desséchés, coupés en tranches, puis groupés en colliers qui servent à parfumer la lessive.
Méthodiquement, la femme presse les unes au-dessus des autres les différentes pièces de linge à lessiver en ayant soin de mettre les plus sales les dernières. Quand le cuvier est plein, l'homme et la femme le recouvrent d'une grosse toile, le "charrier" qui déborde tout autour; ils y étalement la cendre, la "charrée" et, en les relevant, ils forment avec les bords du charrier une sorte de bassin fermé.
C'est fini pour ce soir.
Le lendemain matin, à la première heure, la ménagère est debout dans le fournil; le feu est allumé; la chaudière pleine d'eau est supsendue à la crémaillère. Quand l'eau est à la température suffisante, pas trop élevée, car alors elle échauderait le linge, la femme la verse sur les cendres, à l'aide d'un pot en grès, le pot à lessive. L'eau imbibe la couche de cendres, dissout les sels solubles et notamment le carbonate de potasse, s'infiltre à travers le linge, arrive au fond et s'écoule lentement, grâce à un bouchon de paille du trou, dans un baquet d'où avec le pot, la ménagère la recueille et la revide dans la chaudière. Là, elle s'échauffe à nouveau, pour être reversée sur les cendres du cuvier. Dans certaines maisons, une gouttière en zinc établit une communication directe entre l'orifice du cuvier et la chaudière, ce qui évite l'emploi du baquet et simplifie le travail. On continue la manœuvre pendant dix ou douze heures. C'est ce qu'on appelle "couler la lessive". Commencée à l'aube, elle ne s'achève qu'au crépuscule.
Le jour suivant, le soleil n'est pas encore levé que déjà, les laveuses, dûment convoquées, sont avec la maîtresse de maison, autour du cuvier.
Les laveuses sont des professionnelles au teint coloré, aux bras robustes, au verbe haut, au langage cru et qui, jamais, ne mâchent leurs mots.
En attendant le café avec une bonne "console d'eau de vie", elles "découtrent" la lessive. Découtrer, c'est enlever séparément les diverses pièces du cuvier et les placer sur le bât de l'âne qui, patiemment, gratte du pied dans la cour.
L'âne est chargé. Il part et les laveuses le suivent; les unes ont la hotte au dos avec le crochet, la torche de paille, le savon et les brosses; d'autres, sous le bras, portent la boîte à laver, les battoirs et les sabots.
La maîtresse, elle, s'est réservé le grand panier à provisions avec le repas de midi: pain bis, petit salé, fromage de cochon, œufs durs, bondon, cidre, vin et "goutte" qu'il serait imprudent d'oublier.
Et en route pour la fontaine...ou pour la Seine.
La fontaine ou la lavoir est souvent près d'une source, à deux ou trois kilomètres du village. C'est un bassin en maçonnerie, muni de vannes placées sur les deux côtés opposés. L'une des vannes est destinée à l'entrée de l'eau, l'autre règle sa sortie. Le réservoir est entouré d'une aire pavée, dallée ou planchéiée, abritée par un toit qui supportent soit deux rangs de poteaux, soit un mur de côté extérieur avec des colonnes de fonte sur le côté contigu au bassin. les bords de ce bassin sont formés par des dalles en pierre bleutée de Chérence ou par des madriers en chêne; ils s'inclinent légèrement dans le sens de l'eau afin qu'on puisse battre et frotter le linge. Quelques lavoirs sont complètement clos et pourvus de tréteaux fixes et tourniquets à égoutter.
Au pied de la fontaine, les laveuses prennent leurs dispositions. Elles chaussent leurs sabots; elles s'enveloppent d'un tablier de toile "d'ortie"; elles alignent leurs boîtes tout à l'heure dans le foin sec, elles s'agenouilleront pour laver. Brosses, battoirs, savons sont à portée de la main. Sur  l'eau, elles jettent la torche de paille qui isole la lessive particulière du reste du lavoir.
L'âne soulagé de son fardeau paît l'herbe du pré.
La besogne va son train, en accord parfait avec les langues et les battoirs.
Repas et repos de midi, à l'ombre ou à l'abri des hauts peupliers qui longent la petite rivière.
Le travail recommence vers deux heures et ne cesse que lorsque la dernière pièce est tirée de la fontaine.
Au fur et à mesure que le linge a été lavé et "égoutté" si le soleil s'y prête, on commence à le sécher sur les buissons d'alentour.
Le soir approche. Le bât de l'âne se charge comme à l'aller. La bête et les gens s'acheminent vers le logis où l'on arrive à la nuit.
Hâtivement, le linge est mis en place sur une table dans le fournil. La journée est terminée et c'est une journée bien remplie.
La lessive a été coulée; elle est lavée et maintenant il faut la sécher.
Demain, draps, chemises, torchons, nappes, napperons et serviettes seront transportés sur une brouette dans le pré qu'entoure une haie d'aubépines.
Etendu sur l'herbe et le branchage des arbustes, le linge "hâlera" rapidement sous l'action du soleil et du vent...à moins qu'il ne survienne quelque méchante ondée imprévue.
Mais quand même le linge finira bien par sécher. Il ne restera plus alors qu'à l'étirer, le plier, le repasser -parfois- et à le ranger blanc et parfumé dans la grande armoire villageoise.
Et comme dit la ménagère à sa voisine: "Dieu merci, c'est une bonne corvée de faite"
( "La Lessive" in "La vie rurale dans le Mantois et le Vexin au XIXe siècle" d'E. BOUGEATRE, édition annotée et complétée par Marcel LACHIVER, 1971)

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